DE L’AMAZONIE À LA CORDILLÈRE DES ANDES, ACTIONS ET RÉFLEXIONS AUTOUR DE LA JUSTICE CLIMATIQUE
AMÉRIQUE LATINE
VISION
GENRE ET TEJ
Le Secours Catholique-Caritas France et l’Articulation du Semi-Aride (ASA) ont réuni pendant deux jours au Brésil des partenaires venus de plusieurs pays d’Amérique latine pour un Forum sur la Justice Climatique. L’occasion de réfléchir et échanger des idées et des stratégies face au changement climatique. « Lorsque les gens parlent de climat, beaucoup disent que nous sommes sur le même bateau. C’est faux ! Car certains naviguent sur des yachts, alors que d’autres flottent sur de frêles esquifs ». Voilà comment Nonato Silva, professeur et directeur de l’Institut Fédéral du Piaui (IFPI), une institution publique d’enseignement, de recherche et d’extension axée sur l’éducation professionnelle et technologique, a débuté sa conférence « Pratiques pour une vraie justice climatique ». L’enseignant-chercheur a ouvert le cycle d’interventions et de tables rondes programmées lors du Forum régional sur la Justice Climatique organisé les 30 juin et 1er juillet par le Secours Catholique-Caritas France et son partenaire brésilien, l’Articulation du Semi-aride Brésilien (ASA) , à Pedro II, une ville située dans le nord-est du Brésil . L’événement s’inscrivait dans les activités du Programme Communautés Résilientes pour la Transition écologique juste, menées avec le soutien de l’Agence Française de Développement (AFD). Outre le fait de rappeler que « ce sont ceux qui polluent le moins qui souffrent pourtant le plus des impacts du changement climatique », Nonato Silva a insisté sur « le rôle essentiel, vital même, des territoires, en tant qu’espaces de résistance, de protection de l’environnement et de la préservation des savoirs locaux ». Le message est évidemment bien passé auprès de la centaine de personnes qui ont participé à ce Forum sur la Justice Climatique. Parmi elles, des étudiants et enseignants de l’IFPI, des agriculteurs et membres d’organisations locales de différentes régions du Brésil. L’assemblée comptait également dans ses rangs des représentants d’organisations venues du Pérou, de la Colombie et de la Bolivie. Tous étaient conviés à présenter leurs expériences à partir du travail développé dans différentes communautés, qu’il s’agisse d’adaptation et d’atténuation aux effets du changement climatique ou de propositions pour un rééquilibrage des efforts, notamment financiers, pour y faire face. En Amazonie bolivienne, le climat est une question de femmes Parmi les nombreuses interventions, celle d’ Amira Apaza Quevedo, la représentante du Centre de recherche et de promotion de la paysannerie ( CIPCA ), a marqué les esprits . Cette organisation créée en 1970 et qui soutient les populations paysannes et indigènes, accompagne des femmes dans différentes régions du pays menacées par la déforestation, l’exploitation pétrolière et l’extractivisme, dont la Chiquitania et l’Amazonie. « Ces territoires sont également marqués depuis plusieurs années par de fortes périodes de sècheresse qui facilitent la multiplication des incendies », a expliqué Amira. « Résultat, la forêt ne nourrit plus ou mal les populations, les territoires sont de plus en plus asservis à l’agrobusiness et les hommes, en quête de travail, migrent plusieurs mois par an dans des exploitations éloignées ou dans les villes ». Les femmes, elles, restent et deviennent alors des protagonistes de la lutte contre le changement climatique. « Le CIPCA a toujours travaillé au soutien et au renforcement des capacités des femmes afin qu’elles puissent créer des conditions pour leur autonomie sociale et économique, rappelle Amira. Nous avons donc réfléchi avec elles au rôle qu’elles pouvaient tenir face au défi climatique. Ça se traduit par exemple par le développement de vergers et de l’agroforesterie. C ’est aussi une façon de réaffirmer la force et les compétences des femmes ». Préservation des savoirs ancestraux dans les communautés andines du Pérou « Seulement » 1200 kilomètres séparent l’Amazonie bolivienne et Ayacucho. Pas grand-chose, à l’échelle du continent sud-américain. Mais c’est pourtant d’un monde totalement différent dont est venu parler Ernesto Ambía Hurtado , membre de l’Association pour les droits humains (Aprodeh) à Ayacucho. Ce partenaire péruvien du Secours Catholique-Caritas France a été créé en 1983 à une période où les paysans andins se retrouvaient sous le feu croisé des groupes terroristes et des forces militaires gouvernementales. « Après la violence politique et la violence structurelle , a expliqué Ernesto, aujourd’hui ces populations sont confrontées à la violence climatique . La fonte des glaciers affecte les ressources hydriques déjà limitées dans cette région, et impacte l’agriculture de subsistance de ces populations qui se retrouvent victimes d’un réchauffement de la planète auquel elles ne contribuent pas. Cela génère un profond sentiment d’incompréhension et d’injustice ». D’où le travail mené par Aprodeh pour sauvegarder ce qui peut l’être. En commençant par les savoirs ancestraux. « Ces communautés, vivant entre 3 500 et 4 000 mètres d’altitude, ont su s’adapter à leur environnement et conserver une riche agrobiodiversité avec, par exemple, la préservation de centaines de variétés de pommes de terre. C ’est une richesse qui est très sous-estimée alors qu’elle a souvent permis aux populations de traverser des événements climatologiques, sociaux et politiques difficiles ». En Colombie , la forêt amazonienne est un « sujet de droits » Sauver la biodiversité est aussi une préoccupation centrale en Amazonie colombienne, qui occupe 42% du territoire national. « En 2018, la Cour Suprême a rendu un arrêt reconnaissant l’Amazonie comme sujet de droits. C’est arrêt est fondé sur les principes de précaution, d’équité entre les générations et de solidarité, a rappelé Bibiana Rodriguez, de la Caritas colombienne, au début de son exposé. Nous avons donc réfléchi sur la manière d’appliquer cette décision dans les communautés ». Et c’est à Solano, petite municipalité peuplée majoritairement d’indigènes, que plusieurs actions territoriales ont été menées, avec pour objectif initial de « freiner la déforestation de manière participative ». Cinq ans de travail ont été nécessaires pour adopter (en 2023) un plan municipal de combat contre la déforestation, auquel la Caritas colombienne a apporté son soutien. « Nous avons commencé par la création d’une école permettant aux populations de se former à la législation environnementale, aux droits humains et au travail avec les institutions, a détaillé Bibiana Rodriguez. Puis nous avons travaillé, avec d’autres ONG, sur un plan de combat contre la déforestation, basé sur trois points clés : Conservation, restauration et reconversion ». Le tout en lien avec le Conseil Municipal de Solano et le Secrétariat à l’Agriculture. Ces trois dernières années, la Caritas colombienne a axé ses efforts sur l’accompagnement des populations locales vers une transition écologique juste. Au menu, des échanges de savoirs et de connaissances et le développement de l’agroforesterie. « Cette participation citoyenne et ce travail d’information sont indispensables pour mettre fin à la déforestation », a conclu Bibiana Rodriguez. « La recherche de solutions pour protéger l’environnement exige une approche globale pour combattre la pauvreté et rendre la dignité aux exclus, tout en prenant soin de la nature ». Le semi-aride brésilien mobilisé contre le changement climatique et… les implantations non concertées des énergies renouvelables Bien d’autres interventions ont nourri ce Forum, comme la présentation du « Plan d’action stratégique territorial pour l’atténuation des changements climatiques dans la région de Borborema », dans l’État de la Paraíba, marquée un climat semi-aride. Lors de son intervention (à distance), Roselita Vitor , Coordinatrice du Pôle de la Borborema, une organisation qui réunit 14 syndicats de travailleurs ruraux, environ 150 associations communautaires et une organisation d’agriculteurs écologiques, a décliné sept domaines d’intervention, depuis « une gestion à la fois individuelle et collective des agroécosystèmes comme la réorganisation des espaces productifs, jusqu’à la création de fonds rotatifs solidaires, en passant par la généralisation de l’accès à des citernes pour récupérer l’eau de pluie (16 ou 52 m3, selon l’usage : pour consommation ou pour la production) ». Roselita Vitor a aussi évoqué son inquiétude face à l’implantation, sans concertation avec les communautés locales, de parcs éoliens dans sa région. Une menace vécue également par Claudina Oliveira, conseillère municipale à Pedro II, qui a dénoncé pour sa part les « menaces des énergies renouvelables » et celle, en particulier, qui pèse sur la région avec « le projet d’implantation de plus de 2000 km2 de panneaux solaires par une grande entreprise, ce qui va contraindre de nombreuses familles d’agriculteurs à quitter leurs terres ». Les participants étaient visiblement satisfaits des échanges lors de ce Forum. Amira Apaza Quevedo a par exemple estimé très intéressant de présenter le travail mené par CIPCA avec les femmes en Bolivie. « J’ai aussi écouté avec beaucoup d’intérêt les manières différentes dont les femmes s’impliquaient en fonction de leur habitat et des conditions climatiques et parvenaient à conquérir ou renforcer leur autonomie ». En partageant leurs expériences, de nombreux participants pensaient déjà à l a 30ème Conférence sur les changements climatiques (COP 30) qui se tiendra à Belém, en Amazonie brésilienne, du 10 au 21 novembre 2025. Avec en tête plusieurs défis, dont le principal est de « peser en tant que société civile aux discussions », a souligné Walter Prysthon du Secours Catholique-Caritas France. Objectif ? « Réaffirmer l’importance des solutions inspirées des connaissances ancestrales de cohabitation avec l’environnement ». Parmi les nombreux thèmes qui seront abordés durant la COP 30 ainsi qu’au Sommet des Peuples, évènement qui regroupera la société civile (du 12 au 16/11 à Belém), l’un des plus sensibles sera certainement le financement de la lutte contre le changement climatique et en particulier des plans d’adaptation, en évitant un endettement supplémentaire des pays les plus pauvres et vulnérables. Autant de sujets de réflexion et de débat pour les participants à ce Forum régional sur la Justice Climatique, venus d’horizons parfois très différents, mais repartis avec la conviction commune qu’il est possible de vivre harmonieusement de et avec la nature. Jean-Claude Gerez