« TERRITOIRES EN TRANSITION » : VISITES ET ÉCHANGES AUTOUR D’UNE TRANSITION ÉCOLOGIQUE JUSTE ET ADAPTÉE
AMÉRIQUE LATINE
AGROECOLOGIE
BIENS COMMUNS
À l’invitation de l’Articulation du Semi-Aride (ASA), partenaire du Secours Catholique-Caritas France, des agriculteurs de différentes régions du Brésil ont participé à trois journées d’échanges dans l’État du Piaui, au nord-est du pays. Dans cette région marquée par un climat semi-aride, les visites de terrain ont permis d’évoquer les mille et une manières vertueuses d’adapter les pratiques agroécologiques à leur environnement. Au début, la voix est un peu tremblante et les joues empourprées. Mais une fois sa timidité surmontée, Luiz Romero Pereira de Souza, s’adresse avec assurance à la vingtaine de personnes qui lui fait face. Le jeune agriculteur de 21 ans a, il est vrai, de quoi être fier. Au pied d’une colline rocailleuse, point culminant de la petite communauté rurale de Salobro, au nord-est du Brésil, il raconte la manière dont il est parvenu, avec sa famille, à transformer en moins de cinq ans une terre aride en un espace prospère de production agricole biologique. Enjambant des sillons de terres humides entre lesquels poussent salades, choux et bien d’autres variétés de fruits et de légumes, il montre ses cultures en partie sous ombrière et explique comment, grâce à une irrigation ingénieuse, il a tiré au mieux parti des ressources hydriques pourtant limitées de la région. « Avant ici , explique-t-il, par manque d’eau, les cultures et les rendements étaient maigres. Mais avec les différents programmes de citernes pour la récupération de l’eau de pluie et un accompagnement technique adapté à nos besoins, nous avons évolué et pouvons désormais bien vivre de notre terre . Car aujourd’hui, nous commercialisons nos produits à travers la vente directe et la fourniture à des programmes institutionnels d’achat d’aliments comme celui pour les cantines des écoles ». Bienvenue dans la région de Pedro II - du nom de l’empereur du Brésil entre 1840 e 1889 - une petite ville de près de 40.000 habitants située dans l’État du Piaui. Municipalité connue pour ses mines d’opale et son artisanat, Pedro II se situe au cœur d’un territoire semi-aride, marqué par une agriculture de subsistance (haricot, maïs, manioc), souvent à grand renfort de pesticides. C’est sur ce territoire - ainsi que dans neuf autres États du nord-est du Brésil - que, depuis sa fondation en 1999, l’Articulation du Semi-Aride (ASA), partenaire du Secours Cathlique-Caritas France, « défend, propage et met en pratique, y compris à travers des politiques publiques, le projet politique de la coexistence avec le Semi-aride ». Un projet qui passe également par des échanges comme celui organisé du 26 au 29 juin. « L’Échange Territoires en transition fait partie du Programme Communautés résilientes pour la transition écologique juste, soutenu par l’Agence Française de Développement, explique Rejane Silva, Coordinatrice exécutive de l’ASA-Piaui. L’idée est de réunir des agriculteurs et techniciens, pour échanger des connaissances issues d’expériences agroécologiques, en réfléchissant sur des thèmes tels que l’accès à l’eau, l’identité culturelle, les stratégies de financement collectif et la commercialisation ». Précieuses banques de semences Désireux de regrouper des acteurs de terrain venus de différentes régions du Brésil, l’ASA a invité des représentants des communautés indigènes Mura et Maraguá, de l’État d’Amazonas au nord du pays, des indigènes du peuple Xakriabá et des habitants des communautés quilombolas (n.d.l.r. communautés formées par des descendants d'esclaves fugitifs) de Januária, dans l’État du Minas Gerais, au sud-est du Brésil. Participaient également un jeune agriculteur de la municipalité de Uauá, de l’État de Bahia voisin, ainsi que des membres d’organisations telles que le Conseil indigène missionnaire (CIMI), la Caritas de l’État du Minas Gerais, l’ONG AS-PTA (Agriculture familiale et agroécologie) de l’État du Paraná, frontalier avec l’Argentine et le Paraguay, ou encore l’Institut régional de la petite agriculture appropriée (IIRPA) de Bahia. Bref une diversité d’origines, d’expériences et de réalités propices à la découverte, à l’échange et au dialogue. À l’enthousiasme aussi, à l’image de Jair Matos Cardoso, 24 ans, jeune agriculteur et éleveur caprin à Uauá, particulièrement ravi de discuter avec Luiz Romero, un jeune comme lui, qui s’investit dans l’agroécologie. « Nos réalités sont un peu différentes, admet Jair qui s’est lancé dans une opération de reforestation dans sa région. Mais, moi aussi, je vis dans une région semi-aride où l’accès à l’eau est un défi pour vivre de la terre. » Deux jours avant la visite à Salobro, le groupe avait débuté son parcours par la communauté rurale Cipó. Ce hameau se distingue notamment par la présence d’un Centre de Coexistence avec l’Agroécologie (CCA), expérience accompagnée par l’œuvre Kolping du Piaui. Objectif ? Enseigner à des enfants et des adolescents les vertus de l’agroécologie. « En plus des cours théoriques, ils cultivent leurs parcelles, accompagnés par leurs professeurs qui sont les agriculteurs de la communauté », explique Geovane Sousa, coordinateur de la communauté. Au programme de la visite également, la « Casa de Sementes », un lieu permettant de conserver les semences locales. En découvrant, dans une maisonnette cossue, les bouteilles en plastique remplies de graines alignées avec soin sur des étagères et personnalisées avec le nom des agriculteurs, Ana Claudia dos Santos, indigène du peuple Mura, confie qu’il y a quelques années, une banque de semences avait été créée dans la région amazonienne où elle vit . « Mais les conditions de conservation n’étaient pas aussi bonnes et peut-être n’avions-nous pas compris l’importance, tant pour notre agriculture que pour notre culture, de conserver ces semences ». De quoi convaincre la représentante de 12 villages indigènes, de renouveler l’expérience dès son retour. Bien vivre de la terre Car, comme dans les autres communautés rurales visitées durant ces trois jours, la banque de semences de Kolping Cipó est un lieu autant stratégique que symbolique. Peut-être plus qu’ailleurs même car, faute d’eau, cultiver y est un défi quotidien. « L’absence de citernes de captation des eaux de pluie nous oblige à puiser dans les nappes phréatiques , poursuit Geovane Sousa. Le problème, c’est qu’une entreprise a implanté des milliers de panneaux solaires dans les municipalités alentours. Et pour éviter le développement des mauvaises herbes, elle répand des pesticides. Résultat, quand il pleut, l’eau s’infiltre et pollue les nappes phréatiques ». La détermination de vivre de la terre est pourtant inébranlable. Et elle est encore plus visible lorsque l’hôte guide ses invités à travers son « Quintal », littéralement « arrière-cour de la maison », une initiative développée par la communauté qui inclue également de l’agroforesterie, malgré des surfaces réduites. Avec à la clé, la démonstration que peu de terre suffit pour bien vivre. Une question d’ailleurs récurrente lors des échanges entre hôtes et visiteurs. Que faire en effet lorsque les enfants grandissent, veulent fonder leurs familles et à leur tour vivre de la terre alors que les propriétés ne sont pas extensibles ? Comment vivre de l’agroécologie lorsqu’on est menacé par l’avancée des monocultures ou l’implantation de parcs d’énergies renouvelables (éolienne ou solaire) ? Ces interrogations étaient communes aux participants quelle que soit leur réalité. Tout comme les échanges sur la notion du « bien vivre » ou du « vivre bien », sachant que « chacun à sa définition » sur ce point a lancé un des représentants du peuple Xakriabá. Autre point soulevé : faut-il nécessairement beaucoup de terre pour bien vivre ? « Il faut changer de paradigme et savoir ce que l’on veut et ce que l’on peut », a estimé Sarah Gonçalves, de la Caritas diocésaine de Januaria. « Devant la taille réduite des propriétés et la perspective de maigres revenus, la tentation est malheureusement d’abandonner la terre comme le font de nombreux jeunes et d’aller vivre en ville », a regretté Renata Maciel. Cette trentenaire vit dans une communauté quilombola dont les terres sont partiellement occupées –illégalement - par un fermier. Malgré des années de lutte, la situation est toujours tendue. Une préoccupation que la visite, le deuxième jour à Pedra Branca, a tout de même réussi à (partiellement) dissiper. S’adapter à son environnement Il est vrai que Maria da Luz de Oliveiro, responsable de l’association communautaire de Pedra Branca créée en 2006, a montré avec méthode et enthousiasme tout ce qu’il est possible de faire malgré des surfaces limitées et un climat aride. Y compris de la… pisciculture, comme le démontrent les larges réservoirs d’eau remplis de poissons à différents stades de croissance, situés tout près des carrés de salades, persil et tomates. Et si les 20 familles de Pedra Branca pratiquent essentiellement une agriculture de subsistance (maïs, haricot, manioc) et le petit élevage, l’artisanat à partir du bois, la confection de poupées en crochet et surtout le tissage du coton constituent également des sources de revenus non négligeables. Pendant la visite, leur métier à tisser a été accessoirement un test pour évaluer, dans la bonne humeur, la force des mollets, l’équilibre, la synchronisation des mouvements et… l’humilité des visiteurs pour tisser un simple napperon ! L’occasion aussi pour les membres de l’ASA-Piaui de susciter chez les visiteurs une réflexion sur la nécessaire valorisation économique du patrimoine culturel. Ces trois jours d’échanges se sont conclus au Centre de formation Mandacaru. Créé en 1991, cette entité issue des communautés ecclésiales de base, a pour mission de « promouvoir la citoyenneté dans le semi-aride brésilien à travers l’éducation contextualisée, l’agroécologie et la justice sociale, en renforçant le développement durable des communautés ». Le centre inclue une « éco-école » que la délégation a visité avec un vif intérêt. Une sorte de laboratoire de l’agroécologie à ciel ouvert, où l’efficacité et l’adaptation des pratiques vertueuses est au centre des préoccupations. L’arrêt, lors de la visite du centre, à l’aire de fabrication du compost a montré, si besoin était, que ces pratiques peuvent se répandre en différents environnements, en utilisant les ressources locales. En expliquant les différentes étapes de production du compost et leur importance dans la récupération des sols, le représentant du Centre Mandacaru encourageait les participants de l’Amazonie : « Pour vous, a-t-il souligné , le climat humide et la profusion des feuilles sur le sol, facilite cette étape de décomposition végétale pour le grand bien des sols et de la production agroécologique ». La jeunesse et l’espoir Avant d’enchaîner, les deux jours suivants, avec le Forum régional de Justice Climatique, les participants à ces trois jours de visites et d’échange ont dressé un bilan de leurs expériences et rencontres. « J’ai été impressionné par la manière dont les agriculteurs de cette région semi-aride sont capables de s’adapter à leur environnement et de lutter, parfois âprement, pour vivre de la terre », a souligné Everaldo Castro du peuple Maraguá. Pour Bruno, 24 ans, enseignant dans un village du peuple Xakriabá, le plus marquant est « cette volonté de transmettre les savoir-faire, la culture et les valeurs d’une génération à l’autre ». Le sentiment le plus partagé reste l’enthousiasme face à la présence importante de la jeunesse. « Dans le monde rural, on a plutôt l’habitude d’être reçu par les anciens, souligne Ana Claudia dos Santos, du peuple Mura. Mais pendant ces trois jours, j’ai vu beaucoup d’enfants et d’adolescents au centre des projets. Alors même si nos situations, quel que soit le lieu où l’on vit, sont préoccupantes et difficiles, cette présence des jeunes est un message d’espoir ». Jean-Claude Gerez